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C’est inscrit en moi : la naissance d’un enfant est un moment sacré, une transition qui mérite tout notre respect, toute notre attention, tout notre amour. Au plus profond de mon être, c’est une évidence. Et porter la vie en moi a fait rejaillir cette certitude dans chacune de mes cellules : je vibrais de ce sacré que j’allais rencontrer plus intimement au moment de la naissance de mon premier enfant. Mais je n’avais pas encore les mots pour le dire, et je ne savais pas non plus toute l’ampleur de ce sacré en moi. Je le ressentais de toute mon âme et dans ma naïveté de jeune femme, j’ai cru que chaque être humain portait en lui ce sens du sacré qui m’habitait. Et lorsque je me suis retrouvée l’âme écorchée, mon fils loin de mon ventre et de mon cœur après une naissance provoquée-rupturée-perfusée-accélérée-couchée-monitorée-gelée-dirigée-coupée-recousue, j’ai occulté la souffrance et le vide que notre expérience a laissé en moi. J’étais meurtrie dans mon âme et dans mon corps, mais mon cœur refusait de ressentir autre chose que le bonheur d’être la mère de ce petit être qui avait besoin de mon amour et de mon lait. J’ai tassé ma colère et mes larmes dans un repli de mon âme, toute entière à mon bonheur d’être mère.

Mais un an plus tard, enceinte de ma fille, le barrage a cédé : toutes les émotions jadis refoulées étaient là, intactes. L’indignation, la colère et les larmes ont réclamé d’être entendues. On m’avait volé. On m’avait trahie. On m’avait manipulée. Leurs nombreuses interventions avaient été inutiles voir même dangereuses [1]! Ces professionnels n’avaient pas tenu compte de ce que je ressentais et mes demandes avaient été banalisées voir ignorées. Et cette phrase, entendue à maintes reprises, et qui servait uniquement à masquer leur résistance au changement : « Oui, oui, pas de problèmes, on fera comme vous voulez, nous sommes un hôpital ouvert, ici ». Mais ils ont évoqué maintes raisons pour continuer à suivre leurs routines habituelles ou alors ils ont « oublié » ce qui m’importait.

Et en moi, cette intuition que tout allait pour le mieux avait fini par peser bien peu face à leur lot d’arguments logiques avancés sur un ton assuré… Leur dernier argument : « Il pèse tout au plus cinq livres et demie et n’a pas pris de poids depuis la dernière échographie. » J’ai douté, j’ai questionné puis, j’ai abandonné : je n’avais pas étudié la médecine et l’obstétrique, eux oui… Pourtant, dès l’instant où on a déposé cet être déjà tant aimé sur mon ventre, j’ai su: mon intuition ne m’avait pas trompée ! Et c’est d’un air étonné qu’on m’a annoncé le « miracle » : 7 livres !!! Au final, ces gens qui savaient… ne savaient pas grand-chose et surtout, ne connaissaient rien à la physiologie de l’accouchement, ni à l’intuition maternelle, et encore moins au sacré de la naissance. Leurs cerveaux remplis de connaissances innombrables ne connaissaient rien de ce qui se passe entre une mère, un père et son enfant lors de la naissance. Ils savaient mesurer (et encore !!!), compter, suivre des protocoles, prendre en charge, diriger. Ils ne savaient pas attendre, être présents, être à l’écoute, rassurer, ressentir, accompagner… Ils ne savaient pas être… Pour eux, cette erreur n’était que peccadilles puisque la mère et l’enfant étaient en vie et sans séquelles physiques graves… Tant que la machinerie promettrait de guérir, pourquoi s’en faire ?

À mesure que refaisaient surface ces fantômes du passé et que je m’instruisais sur le sujet, une certitude s’est imposée avec de plus en plus de clarté : plus jamais comme la première fois ! Les morceaux d’un casse-tête s’assemblaient soudainement, et j’apercevais pour la première fois une possibilité qui m’avait d’abord parue inconcevable : accoucher à la maison. Lors de ma première grossesse, une femme m’avait brièvement parlé de ses expériences d’accouchement à la maison et me suggérait d’envisager cette possibilité… J’en suis demeurée perplexe : j’estimais cette femme et elle me semblait intelligente pourtant ! Sans juger, je ne comprenais pas : comment pouvait-on arriver à faire un choix aussi rétrograde, risqué et illégal de surcroit !!! Ce fut un mystère pour moi pendant près de 2 ans. Mais, au fil du temps, d’autres événements, d’autres personnes ont dissipé le brouillard qui masquait cette vision des choses que je ne pouvais concevoir sans un important cheminement intérieur : l’accouchement à la maison, accompagné par des sages-femmes était aussi sécuritaire qu’un accouchement à l’hôpital !!! Ces femmes connaissent, outre tous les gestes qui assurent la sécurité de la mère et de l’enfant, ce savoir du cœur qui m’importait tant ! Un accompagnement tout inclus : chaleur humaine, respect du sacré de la naissance, et … un taux d’intervention moins élevé !!! Chez moi, dans ma maison, sans que j’aie à me déplacer dans le froid de janvier, sans que j’aie à quitter mon nid si rassurant !

À 7 mois de grossesse, j’ai repris mon histoire en main. Mon conjoint n’avait plus d’arguments devant ma détermination. L’argent nécessaire pour obtenir l’accompagnement d’une sage-femme est apparu miraculeusement. Après quelques recherches, j’ai finalement rencontré celle qui allait m’accompagner, me guider, écouter mes larmes et encourager cette confiance qui grandissait en moi. Enfin, j’étais impliquée dans chacune des étapes qui me conduiraient vers ma rencontre avec ma fille ! Ma sage-femme était là pour moi, avec moi, et son savoir était disponible pour que je le consulte sans aucune forme de pouvoir. Ce que je disais était non seulement entendu, mais pris en compte !

Cette nuit où j’ai donné naissance à ma fille, elle était là accompagnée de deux autres femmes, toutes trois discrètes, mais entièrement présentes, posant les gestes attendus ou nécessaires et retenant ceux qui auraient nuis. Je savourais chaque contraction qui me rapprochait de mon enfant, et même dans l’intensité qui précède la naissance, la douleur ne me faisait pas souffrir… Sans peur, il n’y a pas de détresse, pas de cris, ni d’ongles déchirant la chair du futur père. Il n’y a que la vie qui ouvre un passage, du plus intime de soi vers nos bras. Il n’y a que ces sons qui parlent de la puissance féminine et ces mouvements instinctifs qui ouvrent la voie pour cette nouvelle vie. Et quand la peur s’est immiscée sournoisement en moi, ralentissant la progression du travail, ma sage-femme a su. Une petite question, posée sur le ton de la confidence a suffi pour que je prenne conscience de ma peur. En quelques mots, elle m’a rassurée et c’est ainsi que je me suis abandonnée pour que ma fille puisse prendre son premier souffle et rejoindre mes bras…

J’ai pu savourer mon bonheur de la tenir contre moi, de m’émerveiller du miracle issu de mon corps. Puis, au moment de libérer le placenta qui avait nourri ma fille pendant de nombreuses semaines, j’ai saigné un peu trop… « Un utérus qui saigne est un utérus qui pleure » ai-je appris plus tard… Il pleurait peut-être ce bonheur volé lors de la naissance de mon fils, à moins que ce ne soient d’autres blessures… Qu’à cela ne tienne, le savoir et le savoir-faire de mes sages-femmes ont pallié à cette hémorragie avec professionnalisme. J’étais entre bonnes mains…

Puis, ma fille au sein, je rayonnais de bonheur ! Mon fils est venu voir à quoi ressemblait cette petite sœur qu’il semblait déjà connaître. J’avais été séparée de lui lors de sa naissance, mais aujourd’hui, je n’avais pas besoin de le quitter pour accueillir sa petite soeur. Je pourrais le bercer avant son dodo, et je dormirais paisiblement chez moi, ma fille collée contre moi. D’une simplicité désarmante, la vie continuait son cour, sans séparation, sans coupure…

Ce jour où j’ai choisi d’accoucher chez moi, a marqué un tournant important dans ma vie. J’ai choisi d’écouter et d’accorder plus de crédit à ce que je ressentais au plus profond de mon âme. Chacune des décisions relatives à notre santé ont été prises de façon plus éclairée. Et c’est avec un bébé de 3 semaines que je me suis présentée à ma première journée de formation en tant qu’accompagnante à la naissance et aspirante sage-femme. Pendant 12 ans, j’ai eu le privilège de voir naître deux cent enfants dans le respect de ce moment intime, sacré. Mon cœur s’est offert pour ces femmes et ces couples qui souhaitaient accueillir leur enfant avec toute leur conscience, présents, impliqués, entendus. Bien sûr, il est arrivé que certains nœuds s’avèrent trop difficiles à dénouer pour que la naissance se déroule à la maison, mais peu importe la tournure des événements, les deux principales préoccupations que nous avions, étaient la sécurité et le respect de ces mères, de ces pères et de leur enfant à naître… Et c’est ainsi que parfois après de nombreuses heures d’attente et de soutien auprès de ces familles, j’ai touché au miracle, au mystère de la vie ! C’est là que j’ai pu mettre des mots sur ce sens du caractère sacré de toute naissance que je porte en moi depuis toujours.

Accompagner la naissance est un art. Un art qui demande de faire peu, vraiment très peu de gestes. Le moins possible, pour ne pas nuire, ne pas interférer. Et ce, tout en sachant sur le bout des doigts les gestes qui apaisent, qui sécurisent ou qui sauvent des vies. Être là à regarder une famille se tisser un moment magique, suspendu dans le temps. Une trame sur laquelle ils continueront de tisser le paysage d’une vie… Précieux instants qui pourraient faire la différence entre un départ bousculé ou minutieusement amorcé, se répercutant sur la toile d’une vie entière…

Manon Gauthier, maman de deux grands enfants

[1] À titre d’exemple, le protocole pour l’application et la gestion de l’occytocine sous perfusion pour déclencher ou stimuler le travail demande la surveillance constante du coeur fœtal parce qu’il entraîne fréquemment une détresse fœtale. 80 % des femmes en travail en reçoivent !!!  Le taux de césarienne est d’environ 25 % au Québec alors qu’au Pays Bas il se maintient autour de 10 %, tout en obtenant d’excellents résultats au niveau de la santé de la mère et de l’enfant.  Y aurait-il un lien entre l’utilisation abusive de l’ocytocine et le taux de césarienne ?